MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19550525 Donald Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen en Thea Vermeulen-Diepenbrock

Donald Van der Meulen

aan

Matthijs Vermeulen en Thea Vermeulen-Diepenbrock

Parijs, 25 mei 1955

Le 25 Mai 1955.

Paris

Cher Thys, chère Théa, chère Odile,

Ce matin à 1 heure et un quart est née notre fille Dominique. Dans le 12e arrondissement près de la Nation Janine a accouché avec quelque mal mais se porte bien de même que la fille une forte personne de 4 kg et quelques...

Après de fortes émotions pour la sage-femme qui délivrait Janine, le médecin appelé en toute hâte (cela se passe dans une clinique) a pratiqué une délivrance artificielle. Enfin aux nouvelles de sept heures ce matin tout semble rentré dans l'ordre normal. Janine n'a jamais connu de souffrances pareilles. Et hier soir lorsque je la vis à dix heures, une heure avant son entrée en salle, la douleur lui donnait des traits énergiques, un comportement inhabituel dont j'admirai la beauté et qui me fit augurer agréablement sur le développement futur de son caractère.

Cet enfant, qui mère maintenant, habitué à la mollesse excessive de son éducation eut pendant quelques minutes le masque, la voix d'un être nouveau tellement sympathique. Si j'aime Janine telle qu'elle est, telle que je l'ai connue, je crois que je pourrais l'aimer plus ou mieux encore si son être se tournait vers celui entrevu. Avoir le cœur de Janine et avoir tout ce que j'imaginais derrière ce masque, que de belles choses seraient alors réalisables. J'ai toujours considéré l'être mère comme supérieur à l'être non fructifié et je suis heureux que Janine soit passée à cet échelon. Je ne suis qu'un témoin. J'ignore tout des détails. Mais l'émotion ressentie devant la création laisse en moi un sentiment religieux. Les intuitions devant le mystère et la beauté de la Vie créent des souvenirs inoubliables. De la belle journée d'août mille neuf cent quarante sept qui me rapprocha ineffaçablement de Madame Michalewicz, de la belle journée d'octobre mille neuf cent quarante neuf qui vit naître Norbert, de cette journée radieuse du mois de mai mille neuf cent cinquante cinq, je garde et l'emporte de beaux souvenirs et je remercie Dieu bien sûr de me les faire si beaux. La naissance de mon troisième enfant me fait sentir et résumer rétrospectivement l'attraction irrésistible que créent dans les directions diverses sur le plan humain, l'arrivée de ces noyaux nouveaux: Clarisse m'a lié à ma seconde mère Mme Michalewicz, Norbert à Trudi, Dominique à Janine. Ces pensées que je ne partage qu'avec vous je les livre avec plaisir à deux êtres tels que vous Thys et Théa, si proches de la Création. En vous disant cela je sens combien je souffre du mal de ne pouvoir créer.

Mais la vie n'est-elle pas infinie, n'a-t-elle pas tant de tournants dont chacun doit nous mener à la louange de sa bonté, de sa beauté , infimes elles aussi? C'est ma foi la plus profonde et ma pensée va d'abord à celui qui sait créer, qui est digne de créer et qui doit créer.

Depuis plusieurs années, trop peu nombreuses hélas, j'ai le sentiment que tu dois créer, Thys. Avant de créer moi-même j'ai le sentiment de devoir délivrer celui qui a souffert avant moi de ce mal, de t'aider le plus possible. Combien de désirs, de rêves, autour de ton chalet de Bas-Prunay sont-ils témoins de cette aspiration? Le désir de te donner ma vie est aussi dicté par ce beau devoir. Mais ne crois pas que les termes de "dicté" et "devoir" sont à la base de cet élan. C'est de l'Amour pur qui me pousse, qui m'a poussé vers Toi. Peut-être serions-nous enclin à regretter une éclosion tardive, mais je sens qu'il ne faut rien en faire. Habitué mieux que moi que tu es au déroulement providentiel de la vie, tu passeras outre ce regret et regarderas l'avenir avec la même confiance que moi. Je sens que l'époque des désirs et des rêves intimes et préparateurs est passée et que tu pourras bientôt mieux compter sur ton fils.

Et tu as trois fils et deux filles.

Maintenant parlons un peu de la journée du vingt quatre. Le matin à dix heures Roland sonne pour la première fois à ma porte. Il vient à l'improviste à Paris pour l'enterrement de la mère de son ami Bidaut. Il nous avait écrit son désir de venir dimanche prochain et nous l'attendions donc mais pas si tôt! J'ai passé ma journée avec lui, sauf à l'enterrement en visitant trois camarades de captivité et sa marraine à Marly. J'ai encouragé au maximum sa tendance à renouer avec le bassin parisien. Sitôt son désir d'aller se recueillir sur la tombe de Fofo nous sommes partis pour Louveciennes emportant de Bougival un commun bouquet dont je remarque à nouveau la beauté particulière. Le calme et radieux après-midi sur Louveciennes nous accueillit aux environs de l'heure où Clarisse et Norbert sortent de l'école. Je leur avais apporté chacun un protège cahier mais nous les attendîmes en vain à la sortie. Je ne les avais pas vus depuis octobre dernier je crois et n'avais pas de nouvelles d'eux. Nous les retrouvâmes en train de jouer paisiblement dans la cour du 12 sous la surveillance d'une amie de Trudi celle-ci étant partie pour Paris. Clarisse venait d'avoir les oreillons et ils étaient "consignés". Comme Norbert a grandi! Clarisse aussi mais c'est moins frappant. Tous deux ont bonne mine, superbe mine. Norbert n'a pas encore eu les oreillons. Ils partiront probablement au début de Juin pour une semaine à Vienne au mariage de la grand-mère, avec Trudi et Jean. Après cette courte visite nous répartîmes sur Marly. Avant de voir les enfants nous avions revu l'école, la Bicoque et le cimetière. La tombe de Fofo a toujours cet aspect mi-cultivé mi-sauvage que j'aime.

Les travaux tant souhaités de réfection de l'arcade ont commencé. Trois arches sont déjà rutilants. Un gigantesque échafaudage de tubes, roulant sur le dessus de l'arcade, où Josquin se plaisait à respirer l'air pur et violent, se déplace du nord au sud n'ayant de lien avec le sol que l'échelle qui permet la montée aux ouvriers. Le fer à cheval que forme en quelque sorte cet échafaudage enclavant le sommet est une de ces réalisations de cette technique et pratique moderne que j'ai approchée et utilisée pour la réfection du toit de Châteaubleau dont j'ai dû vous parler l'année dernier. J'avais imaginé un peu la même chose pour une maison plus longue que de coutume. Mes moyens financiers ne m'avaient permis qu'un embryon latérale roulant. Un de ces tubes que j'ai transportés à Châteaubleau contribue peut-être à cette réfection. Je l'imagine et me réjouis de ce que ce magnifique ouvrage ne soit pas laissé en ruines. Peut-être aurai-je l'occasion de filmer cette réfection pour que vous puissiez vous en réjouir à vue d'œil.

Le reste de la journée fut donc utilisé en visites futiles certes, mais dont je ne doute pas de la nécessité pour Roland comme peut-être pour moi.

Signe particulier: Roland a manqué son train à l'aller comme au retour. Par un heureux concours il aura pu tout de même être chez lui au soir.

De mon côté j'avais manqué le départ à huit heures du soir de Janine qui a utilisé une ambulance de Lagarenne. Sa mère était chez nous hier toute la journée sinon je ne l'aurais pas laissée seule. La complaisance des propriétaires a d'ailleurs facilité les choses. C'est donc une maison vide que j'ai retrouvée avec une petite chatte qui ne parlait pas mais un tout petit mot me tenait au courant. La propriétaire d'ailleurs dès mon arrivée me mit au courant en venant me voir. Les douleurs avait été foudroyantes dans leur rapidité. Vous savez le reste et c'est maintenant une gentille Dominique que j'ai vue ce matin, blonde très forte et grinchante bien sûr. Janine est très bien, relâchée, bonne mine et heureuse d'être délivrée.

Je vais aller la rejoindre après lui avoir laissé cette matinée aux soins qui se réclamaient.

Je vous embrasse bien fort tous trois en vous promettant bientôt d'autres nouvelles.

votre Donald.

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA