MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19510320 Matthijs Vermeulen aan Donald Van der Meulen

Matthijs Vermeulen

aan

Donald Van der Meulen

Amsterdam, 20 maart 1951

Amsterdam

Herengracht 330

le 20 mars 1951

Mon cher Donald,

mes chers tous les quatre,

C'est avec une profonde satisfaction que j'ai trouvé dans notre boîte ta lettre "de la rue de Lourmel". Le jour auparavant je dis encore à Thea: Donald va avoir l'occasion de m'écrire; il y a la grève des transports pour les Parisiens. Je vois avec plaisir ce matin que ça s'aggrave! Plus il y aura en France, et partout dans cette "Europe de l'Ouest" des "troubles", de l'"agitation", et même des bouleversements, mieux ça vaudra. C'est un moyen de libération. Et la libération, la délivrance du joug américain est absolument nécessaire. Il faut qu'ils soient jetés dehors, ces ruminants de chewing gum, ces riches avares qui veulent nous mener comme ils ont traités leurs nègres, pour notre malheur; il faut qu'ils soient flanqués chez eux, ces possesseurs ignobles de l'or et de bombe A, de la bombe H, qu'ils enverront sur votre tête d'abord, sur la nôtre ensuite, pour nous apprendre à vivre, et pour rebâtir dans leur style un continent désert où il n'y aura que des morts, des mourants et des désespérés. Ça s'appelle la Civilisation Chrétienne. Ça s'appelle le règne du Christ Roi. C'est horrible. Quand je vois qu'un petit peuple plutôt bonasse et mollasse comme les Hollandais, va "consacrer", sur l'instigation des Américains, chaque année deux cent milliards de francs à son armement, c'est à dire à sa propre destruction, je peux même pas te dire de quelle façon le cœur me tourne. J'en suis déglingué. Il n'y a pas de malheur, pas de catastrophe que je ne préférerais à cette abominable bêtise. Le plus gênant, le plus esquintant pour moi, qui pourrais écrire, c'est que je suis réduit au silence quand il me faudrait crier. Alors quoi? Vivent les grèves, les troubles, les agitations! Toi-même, tu y gagneras, tant que ça dure et puisse durer.

Et voici le nouveau printemps. J'ai vu, avec Odile, dans le jardin du Musée, dans l'herbe à peine reverdie, les premières pâquerettes. Tu connais ce jardin. Nous le nommons "le nôtre". Je regarde toujours, avec juste l'émotion qu'on peut se permettre, même quand le cœur se sent déchiré, le moulin en pierre où je t'ai photographié dans une position difficile avec Odile ta sœur dans tes bras. Comme je désire et redésire ces instants d'harmonie, de paix, de tranquillité acrobatique – mais sûre et certaine! J'ai bien envie de vous avoir "tous les quatre" ici, encore une fois. J'ai bien envie aussi d'aller de nouveau en France.

On verra. Il y a toujours la chambre inoccupée ici où vous pourrez loger. Il se peut aussi que je ne pourrai plus m'empêcher de bouger et de partir. Qu'est ce que tu aimerais le mieux?! En attendant nous trois vous souhaitent joyeuses Pâques. Thea t'a fait expédier un petit paquet, pour contribuer, si peu que ce soit, à quelques moments de votre bonheur, à la joie de vos deux petits, qui ont une bonne place dans notre amour.

Tiens ferme, mon cher Donald. Fais l'obstruction à une nouvelle guerre, partout où tu pourras, et fais cela avec prudence. A bientôt, j'espère, encore une lettre de cette Rue de Lourmel. Tout va bien ici, sauf que la pauvre Odile est enrhumée. C'est peu de chose, je crois. Mais là pourtant, chez elle, commence la grande pitié. Nous vous embrassons tous les quatre dans ce même désir de sécurité, et avec cette même affection que je ressens pour Odile. Et pour toi, pour les vôtres, mon cher Donald, qu'embrasse

ton

Miaou

J'use d'un même genre de crayon que toi maintenant. Comment ça s'appelle en français?

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA