MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19480616 Ernst Levy aan Matthijs Vermeulen

Ernst Levy

aan

Matthijs Vermeulen

Bennington, Vermont (USA), 16 juni 1948

Bennington College

Bennington, Vermont

le 16 juin 48

Mon cher Ami,

J'ai devant moi tes lettres du 10 mars, adressée à Bâle, et du 24 mars, reçue sur le bateau, à l'embarquement au Hâvre, en même temps que ton livre. Au sujet de ce dernier, je puis à cette heure seulement dire que je me suis procuré un dictionnaire de ta langue et que j'essaie bien péniblement de déchiffrer et la lettre et l'esprit – j'avoue que ce sera long – mais au moins je pourrai dire que j'aurai lu chaque mot! Naturellement, je ne puis rien te dire encore – mes loisirs ne sont tout de même pas trop abondants, et encore une fois: c'est lent, long, et difficultueux! Mais je suis heureux d'avoir ton bouquin – rien que de voir ton nom sur la couverture me remplit d'allégresse – et je me dis: Enfin! Tu ne peux pas savoir ce que c'est pour moi de te savoir hors la misère matérielle et spirituelle – capable enfin de travailler à ta guise, ou presque, et de donner ta mesure. A propos: Si tu as sous la main un exemplaire de ta sonate pour violoncelle, – un exemplaire de trop, je veux dire – je te serais bien reconnaissant si tu voulais me l'envoyer aussitôt que possible, car j'ai l'occasion de la jouer ici – avec un violoncelliste épatant. Je sais que tu n'aimes pas qu'on te joue – mais peut-être feras-tu une exception pour moi??!! Je dois avoir cette sonate, mais elle se trouve emballée dans des caisses avec le reste de ma bibliothèque, venue de Paris l'an dernier. Tout cela ne sera déballé qu'à Chicago.

J'avais un espoir assez précis de retourner cette année encore en Europe, pour quelques semaines (en automne). Cela dépendait du nombre de concerts en Suisse. Et puis, finalement, cela ne se fera pas. Malgré les concerts, cela m'aurait coûté de l'argent, et je ne puis vraiment pas me payer deux voyages par an! Donc, j'ai décidé de rester ici jusqu'à Noël, c'est-à-dire un semestre entier. Puis, je déménage à Chicago. Je ne me rappelle pas si je t'ai dit que j'ai été nommé professeur à l'université de ce centre du cochon et du bœuf. J'y serai six mois de l'année (à choisir) – cette fois-ci ce sera du premier janvier à fin juin. Puis, en juillet 1949 – d'ici un an – je filerai en Europe, et y resterai jusque vers Noël. Pourvu qu'il n'y ait pas une guerre par trop mondiale d'ici là – et on se verra sûrement alors!

J'ai pas mal travaillé ces derniers temps: deux motets pour double chœur de femmes (pour la chorale d'ici), et plusieurs nouveaux morceaux pour piano, dont je ne suis pas mécontent du tout. Ma Dixième doit être bientôt diffusée en Suisse – je ne sais pas la date exacte – et du reste, tu n'as pas d'appareil et tu m'as dit aussi que la Suisse était pratiquement "incaptable". J'aurais pourtant bien voulu que tu entendes cette œuvre si diatonique qu'elle soit, en cuivre et en bois!

Les 2 et 9 juillet, je donne ici "Dido and Aeneas" de Purcell, avec les moyens du bord. Ce sera imparfait et charmant.

Je joue beaucoup – nous donnons tous les quinze jours un concert "sans façons" – musique de chambre, chant, piano – où il y a toujours beaucoup d'atmosphère. Cela vaut tout de même mieux que la vie musicale dite officielle. Cet hiver, j'ai donné successivement (naturellement!) les cinq dernières sonates de Beethoven, entre autres.

Voilà mon Vieux, pour aujourd'hui.

Embrasse Théa pour moi.

Et je te la serre bien fraternellement!

Ernst

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA