MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19480316 Roland Van der Meulen aan Matthijs Vermeulen en Thea Vermeulen-Diepenbrock

Roland Van der Meulen

aan

Matthijs en Thea Vermeulen

Noyon, 16 maart 1948

Noyon, 16-3-48

cher Theys,

Chère Théa,

Nous avons bien reçu ta lettre du 13. qui nous a fait bien plaisir. Je vois que tes préoccupations ne te laissent pas de répit. Il est vrai qu'un jour est si vite envolé, je m'en aperçois chaque jour et ce n'est guère dans le train que j'ai vraiment le temps d'écrire. Et je m'excuse tout de suite de mon écriture –

Voilà 1 mois ½ que je fais le trafic tous les jours et vraiment c'est très faisable: tout dans la vie est très faisable. C'est naturellement le voyage du soir qui est le plus long. Quant à mon travail ça ne peut aller mieux et surtout l'ambiance toujours aussi aimable et complaisante, protégé naturellement par Monsieur Mouser et Monsieur Roelly. Surtout Monsieur Mouser à qui j'ai à faire le plus souvent, et je souhaite qu'il reste le plus longtemps à son poste. Les jeunes n'ont plus le même esprit.

Marcelle se fait à cette vie et petit Bernard qui ne me voit qu'une fois par semaine: le samedi et le dimanche, s'habitue aussi. Il connait bien son Papa et est intenable quand je suis là: dès qu'il me voit il saute de joie et si j'ai le malheur de partir sans m'occuper de lui – c'est la colère. J'ai acheté un petit panier et son grand plaisir, c'est de faire une balade en vélo assis dans son panier sur le porte-bagages: il s'occupe de tout, s'intéresse à tout, surtout aux chevaux: il regarde ses bêtes avec un intérêt particulier. Il a un petit ami le seul lapin qui me reste, un tout petit: lorsqu'ils sont ensemble c'est un tableau magnifique. Ce lapin se laisse prendre par les oreilles, vient de lui-même vers Bernard l'un ne peut se passer de l'autre lorsqu'ils sont tous les deux dans la cour. Son grand plaisir c'est d'être sur les jambes. Il n'a que 9 mois et ne marche pas. C'est dans son "box" qu'il s'amuse à faire plusieurs fois le tour. Mais il ne peut se relever lui-même et se met dans une colère terrible jusqu'au moment où l'un de nous le met sur les jambes; s'il a le malheur de se lâcher et de tomber, alors il faut l'entendre. Il est malin. Ce qu'il aime encore mieux c'est son lit: il se couche le soir à 7H et ne se réveillera que le lendemain à 8H et cela depuis toujours. Il est dans sa chambre et personne ne le dérange. Il sent l'heure d'aller au Dodo et crie de joie lorsqu'on monte l'escalier avec lui: une fois dans le lit il se frétille de joie et attend qu'on lui donne un chiffon, qu'il suce pour s'endormir et ne sera content qu'avec ce chiffon. Il n'a pas encore sucé son pouce, mais il a le temps encore. Lorsque je m'en vais de la chambre, il n'oublie pas de regarder vers la porte et avec un sourire malicieux et entendu il se coche sous les draps.

Bernard pèse 10 kgs et a quatre dents.

Tu me demandais comment j'avais su que Ernst venait en France? C'est par lui-même. C'est en réponse à une lettre de remerciement pour les colis qu'il m'écrivit "Je serai à Paris entre le 10 et le 20 Mars et faut qu'on se voit". Je l'ai vu hier. J'ai téléphoné le matin à Ernst: j'ai reconnu sa voix tout de suite et comme je le vouvoyais il me dit "Dis donc, on se dit tu hein" bonne entrée en matière. Nous nous sommes fixés rendez-vous le soir à 5H à la Librairie où Ernst est venu me chercher et sommes allés à la Gare du Nord – Nous avons causé longuement de toutes sortes lui regrettant que je demeure si loin, étant tout disposé à m'aider pour me développer dans le chant – Après nous avons parlé de ma situation financière, de mes projets immédiats: sur toutes mes dettes il ne reste 21.000f à payer – J'ai vendu la machine à coudre dans le but d'acheter pour Marcelle une machine à piquer la tige des chaussures Marcelle a 7 ans de métier dans ce travail et à faire du travail à domicile, elle gagnerait plus que moi, sans trop de fatigue, son métier étant payé en moins 80f l'heure. L'essentiel serait d'acheter la machine à coudre "spécial" qui coûterait de 45. à 50.000f. Au 1er Décembre j'avais 50.000f de dettes. Par un grand effort et un travail prolongé et la vente de la machine j'ai réussi à réduire à 21.000f aujourd'hui. Ernst me propose de m'aider: je lui écrirai les conditions de vente et de paiement de la machine en question. Celle-ci une fois là j'ai du travail à Paris pour Marcelle plus qu'elle ne peut en faire. L'embêtant c'est qu'aujourd'hui il n'existe pas un concessionnaire qui fasse crédit, et c'est normal dans les temps qui courent. Pour l'instant Ernst ne pouvait pas faire grand chose. C'est très gentil de sa part et je lui en suis très reconnaissant. Connaissant ta situation difficile je ne t'ai rien voulu demander, me disant toujours "aide-toi le ciel t'aidera"! Heureusement que Marcelle est une femme remarquable pour la tenue du ménage, économe et possédant l'esprit de sacrifice au plus haut degré. Marcelle arrive aujourd'hui en pleine difficulté, à ne pas dépenser plus de 4.000 par mois pour le ravitaillement – le reste 4.000 environ pour les dettes. Marcelle aurait bien besoin de vêtements de toutes sortes, mais l'intérêt du ménage passe avant, et aujourd'hui dans un monde corrompu, je trouve ça magnifique. Je ne doute que cette vie de privatisations diverses ne soit récompensé dans un avenir plus ou moins proche. Et lorsqu'on regarde en arrière, qu'on ose regarder devant, assez loin devant, on se dit "la vie vaut quand même la peine d'être vécue".

Alors vous espérant toujours en bonne santé, nous vous embrassons tous trois bien fort –

Roland

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA