MATTHIJS VERMEULEN

Componist, schrijver en denker

19450212 Matthijs Vermeulen aan Donald Van der Meulen

Matthijs Vermeulen

aan

Donald Van der Meulen

Louveciennes, 12 / 13 februari 1945

Louveciennes (S et O)

2 Rue de l'Etang

le 12 Février 1945

Bien Cher Donald,

Merci de ta grande missive du 7,1 juste un jour avant mon anniversaire, que tu as si gentiment oublié, bougre de bougre. Tu crois que j'en ai reçu beaucoup de félicitations (en tout celles de Anny) et que je me passe si commodément des tiennes?! Mais pour nous avoir si longuement écrit je te pardonne. A tout hasard, quoique tu ne sois pas affirmatif, Chérie et Aline vont demain, mardi, à Paris, pour voir. Ce sera, je pense, la compensation d'Azaïs.2

Figure-toi que le bon Julien Guadet m'a rendu visite aujourd'hui. Il s'était annoncé par lettre et Anny est allé le chercher à la gare pour le train de six heures moins le quart. Il venait s'informer plus amplement de l'activité de Josquin dans la Résistance afin de lui faire accorder une Médaille de la dite Résistance. Je n'en savais pas beaucoup plus long que lui, mais je lui ai donné néanmoins quelques précisions et je lui ai fait lire la lettre du Capitaine Fournier. Je n'ai rien contre cette Médaille mais elle est loin de m'enchanter aussi. Par contre lui, Julien, m'a fourni pas mal de détails sur leur séjour en Algérie. Savais-tu qu'ils se sont rencontrés par hasard, un soir dans une rue d'Alger, sans qu'aucun de deux sache que l'autre était en Afrique? C'est phantastique comme la destinée se machine. Car d'après Julien, ce serait un grand toubib d'Alger, sur intervention de Julien lui-même qui le connaissait intimement, qui a empêché que Josquin fut définitivement réformé pour le service actif. Sans cette rencontre donc ce soir dans cette rue... Tu ne trouves pas cela remarquable? Julien n'avait pas l'air de s'en douter, ni de se douter de mes impressions, et moi je n'ai rien entrepris pour lui en apprendre plus. – Ils se sont vus assez souvent, ont dîné et déjeuné ensemble plusieurs fois, Josquin se trouvant dans le camp d'entraînement de Stoueil [lees: Staoueli], qui est à 25 k.m. d'Alger où il se rendait les jours de permission en auto-stop. C'est en essayant un soir cet auto-stop qu'ils se sont vus la dernière fois et qu'ils ont fait leurs adieux. Savais-tu qu'à Nevers Josquin a fait sauter deux locomotives? C'est lui qui me l'a appris. Bien sûr qu'il a demandé de tes nouvelles. Il a même commencé par là. Je lui ai fait lire avec ta permission télépathique ta lettre, qui l'a intéressée et qu'il a parcourue avec la mimique sérieusement appliquée d'un singe savant. Il n'a pas beaucoup changé mais quand même vieilli. Par ailleurs ses "Mais quoi!" croassants de corbeau comique (un corbeau blanc) sont toujours là. Chez lui la Stéphanie est malade depuis jeudi dernier, et, comme il dit, quoiqu'elle puisse guérir comme les autres fois, elle peut mourir aussi. En général c'est comme ça, en effet, que cela se passe. Mais il n'avait pas l'air de s'en douter, encore. Tu feras certainement un plaisir à ce vieux Girondin si tu lui écris une épître soigneusement orthographiée. En somme c'est un brave type. Un peu sec, un peu très sec. (J'avais tout le temps la sensation de heurter un mur rugueux de ciment et c'est la première fois que cela m'arrive avec lui.) Mais quand même c'est un brave type. Il a bu un bouillon américain et croqué un gâteau idem avec beaucoup de plaisir. Bien entendu j'avais illuminé ma chambre avec le phare des grandes circonstances.

Pour la partie positive de ta lettre je me suis empressé de faire prendre mes mesures par Anny, sur mes indications et sous mon contrôle. Elles peuvent donc être exactes et tu les trouveras ci-incluses. Ne les perds pas surtout et ne les fourre pas je ne sais pas où. Ce serait avec une joie triplée que j'étrennerais un costume pareil en ta présence. Ce qui ferait bien mon affaire serait une veste et un pantalon de treillis pour les jours plus chauds qui vont venir selon toute probabilité. Et puisqu'il faut bien faire quelques plans d'avenir! Je crois que pour ces choses je ne dois pas trop compter sur Frank Onnen. Il est très gentil, assez intelligent. Mais je crains qu'il n'appartienne au genre mou, qui n'invente ni n'imagine beaucoup.

Comme d'habitude ta missive contient des phrases assez sibyllines. Qu'est-ce que tu me parles de mon "récepteur fameux"? En aurais-tu par hasard fait l'expérience? Par exemple le 23 janvier? Ce serait assez dans ton genre. Et ce serait assez réussi. Je voudrais bien être renseigné là-dessus. Mais s'il en est ainsi, ne recommence pas tant qu'il y aura la guerre, à moins que tu n'aies à me communiquer des télégrammes de grande importance. Car, vraiment, pour le récepteur c'est inquiétant au plus haut degré.

Ce que je ne comprends pas très clairement non plus c'est quand tu dis de ne pas écrire pour noircir du papier mais pour te faire remarquer à toi-même certaines choses. Pour expliquer "ton système" c'est assez mystérieux. J'ai demandé des renseignements à Anny. Mais elle n'a pas pu me les donner. C'est sérieux ce que ton graphologue-chiromancien a lu dans ta main?? Alors mes compliments.

Pour inaugurer ta nouvelle situation je t'envoie cette belle citation:

Macte animo, generose puer, sic itur ad astra!

En guise de constellations nous avons pour notre ciel nocturne depuis quelque temps les lampadaires électriques qui se sont rallumés pour la première fois depuis Septembre 1939. C'est curieux, mais les voir me fait mal. Qui aurait soupçonné en Août de cette année que lorsque Fofo et Josquin les voyaient un dernier soir qu'ils les voyaient le dernier soir? C'est cela que me dit leur lumière à travers les branches nues du grand marronnier qui se balancent en ombres sur les murs gris de la maison, et c'est cela qu'ils me diront encore quand il y aura des fleurs et des feuilles sur les branches.

Et c'est la seule nouvelle de Louveciennes qui est arrivée à ma connaissance, Anny te racontera les autres, s'il y en a.

Alors generose puer, j'ai bien envie de connaître la surprise que tu me promets. Macte animo, mais pour la grâce de Dieu ne te fouille pas trop. Puisque c'est dans ta main le sic itur ad astra se fera bien sans que tu te fouilles trop.

Bien le bonjour de Kito. Chaque après-midi quand je scie (jamais de ma vie je n'ai manié de si bonne scie, elle va comme dans du Chopped Pork!) il vient me divertir avec ses histoires d'amoureux, et je suis sûr qu'il s'étonne qu'il ne peut pas me changer en chatte, car il me dit: ça irait si bien entre nous deux. C'est vraiment quelqu'un à mettre en vers, en sonnets. Par pur Amour il a bravé d'abord la neige épaisse et froide, par pur Amour il brave la pluie cinglante, et pour toute récompense il n'a reçu jusqu'ici que rebuffades avec horions, et néanmoins il reste animé du plus pur, du plus grand Amour. C'est des histoires de ce genre qu'il vient me raconter. N'est-ce pas magnifique?

Sur cela je t'embrasse prudemment, car sûrement à cette heure-ci tu roupilles déjà. Voilà un bienfait de la nourriture et d'une cuillerée de véritable café (il est bon, ah bon!): elle me permet de rallonger considérablement ma journée, et pour l'instant il est minuit.

Donc dors bien et fais de beaux rêves de Jeepe's! (sans nom, nom de nom!) Et merci déjà pour demain et les autres jours. Ecris-moi, hein!

Avec une bonne accolade tout de même

Thys

Mardi-matin.

Encore reçu ta lettre et carte-lettre du 8 de Lorquin.3 Amener, ménager comme ça les surprises, voilà de l'art, ou bien je ne m'y connais pas. C'est dans ces surprises que justement se montre la Muse. M'aurais-tu mis sur la piste (sans le vouloir?) avec les mots: "entre le carton et la caisse"? On va voir!

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA

  1. niet bewaard gebleven
  2. la compensation d'Azaïs: Pierre-Hyacinthe Azaïs (1766-1845), Frans filosoof, verklaarde de wisselvalligheden in de lotgevallen der mensen door de wet der compensaties.
  3. niet bewaard gebleven