MATTHIJS VERMEULEN

Anny Vermeulen-van Hengst

aan

Josquin Van der Meulen

Louveciennes, 3 november 1939

Vendredi-matin. 10 h. le 3 novembre 1939

Mon chéri, c'était splendide cette longue conversation! Cela t'a coûté beaucoup? Tu as eu raison de bien arroser tes 18 ans! C'était en souvenir du bon Bordeaux d'Ernst, la première fois, que t'avais choisi cette marque?! C'était le 10 sept. Comme c'est loin. Et comme il faisait chaud ce jour-là. Je venais de Marly faire mes empreintes digitales sur le récipissé. C'est vrai: il faut qu'on y aille encore pour la même chose sur les cartes d'identité. Ma lettre d'hier a trouvé une humble petite place dans la lettre de Thys. Tu vois mon chéri, quel homme épatant c'est, ton père, quand il écrit. Tu dois comprendre comme je suis toujours avide de lire n'importe la plus petite chose de lui! C'est toujours extrêmement intéressant et "portant". Et comment, même avant de le connaître, je me jetais sur ces critiques pour les lire! D'ailleurs, papa aussi. C'était même lui qui m'envoyait régulièrement les critiques de Thys quand j'étais en train de faire mes études musicales chez mon professeur dans la famille duquel j'étais en pension. Et c'est comme cela que je ne pouvais plus rester dans cette ville de province, que je suis allée à Amsterdam, que je connaissais d'ailleurs depuis ma toute petite jeunesse, parce que mes parents aimaient beaucoup passer des semaines à Amsterdam entendre de la musique: concerts, opéras. Et une fois à Amsterdam Thys et moi n'ont pas tardé à s'unir, pour faire un jour le joli petit bambin que tu est, en France! Hier soir j'étais à peine dans mon lit que tout à coup j'étais transportée au soir de ta naissance dans cette petite chambre au 1^er à La Celle St Cloud. Je le voyais et sentais en même temps l'atmosphère si agréable, tranquille, heureuse. C'était comme un film, plus qu'un film. J'étais là, avec toi, à côté Anny et Ties dans leur chambre. Thys dans le grand salon vitré dont il avait fait son studio. Tu te rappelles surtout les années que nous avons passé au rez-de-chaussée de cette grande maison, nous n'avons habité qu'un an en haut. Petit bonhomme que tu fus, tu ravis toujours M^me Lécolier avec ton beau sourire gracieux "tout à fait son père" disait-elle alors. C'est d'ailleurs en souriant que tu saluais Thys en naissant quand il te tournait doucement pour que tu ne restes pas avec ton petit visage dans les draps. Tu sais que Dr. Berthet fut trop tard. Il n'avait pas compté que tu allais arriver si vite! Moi j'ai toujours cru que c'était parce que cette lampe ronde électrique me chauffait comme un petit radiateur de très près. Et tu es très "électrique", c'est vrai. Enfin, c'est Thys qui t'a fait naître. Alors ce n'est pas étonnant votre lien. – Thys est allé seul te chercher les sous-vêtements et des mouchoirs. Il y a encore des serviettes à la maison. – Ce matin Doudie a râté son train: les montres retardaient toutes. Thys en a profité pour ne pas louper le sien. – Ah! oui, les inspections, c'est un peu comme une grande visite à la maison: on aime mieux être averti! On n'est quand-même pas des machines. Et il y a toujours des choses qui traînent, dans une caserne comme dans une maison!! Oui, il ne faut pas changer si vite, pour le moment tu es bien à Fontainebleau. Et si tu apprends bien tu t'ennuieras nullement. Merci des cartes! Si Thys étais un peu plus "voyageur" j'irai bien un Dimanche à deux chez toi, parce que tu es libre de 11h à 9h. On fera ensemble une promenade et un bon déjeuner et le soir une dînette avant de reprendre le train. Cela se pourrait faire si tu ne réussiras pas d'avoir ta perme. Tu dois le demander toi-même à Thys: ne dis rien que je te l'ai écrit. Cette lettre sera partie avant qu'il rentre. Si cela vient de toi cela pourra le séduire ce projet. – De Roland encore rien. C'est quand-même drôle. La grand'mère et Mimi te laissent bien féliciter et dire bonjour! Elles vont bien. Je n'ai pas de carte d'elles pour toi, seulement de Mimi à nous. J'ai envoyé Match. Hier "Les Ailes". Mille baisers de Anny et de moi et des chats, Boulicot est magnifique!

Fofo.

Verblijfplaats: Amsterdam, Bijzondere Collecties UvA